Une réflexion sur la critique de l’orientalisme en peinture

Remarques sur les thèses de Said au sujet de l’orientalisme en peinture et leur application sur les critiques de la peinture orientaliste

Till Dehrmann; Mars 2013

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Dans les Beaux-Arts l’orientalisme est une forme d’expression artistique se rapportant aux scènes de l’Orient, en particulier de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. L’orientalisme en peinture n’est ni une école, ni un style, mais plutôt un genre de peinture figurative comme les marines ou paysages.

Au sujet de l’orientalisme il y a eu des débats passionnés parmi les critiques d’art, qui remontent jusqu’au 19ème siècle. Même de nos jours les médias se servent volontiers du sujet quand il s’agit de surmonter l’art, l’Orient et le colonialisme. Un exemple tout récent est les nombreuses critiques d’art concernant l’exposition « L’orientalisme en Europe » de Delacroix à Kandinsky, qui a eu lieu en 2011 à Munich. Cependant, la discussion a connu son moment le plus fort avec la critique d’Edward Said sur l’orientalisme à la fin des années 70. Avec ses essais il reproche au monde occidental d’avoir crée une image sur le monde oriental qui est marquée d’oppression, d’autorité et de prétention à la domination. Avec cette vision d’une position de supériorité de l’Occident par rapport à l’Orient l’origine de la critique remonte aux anciennes puissances coloniales. Said a définit son orientalisme à partir d’une mentalité occidentale spécifique, qui incarne la civilisation occidentale. Ainsi, la manière européenne de voir les choses, qu’il condamne à cause de son arrogance et sa dégradation, devient l’essentiel dans sa critique.

Par contre, historiquement la définition du terme « orientalisme » est beaucoup plus vaste que dans le sens de Said. Sans aucun jugement de valeur, l’orientalisme peut être associé aussi bien à la peinture qu'à des courants littéraires ou architecturaux sur l'Orient. Certains parlent d'une discipline, d'autres d'un courant culturel de l’Occident ou tout simplement de mouvements. A nos jours le terme « orientalisme » se retrouve aussi parfois dans les informations et reportages en rapport avec des mouvements islamistes.

Non seulement les pratiquants des thèses de Said mais aussi les médias profitent dans leus débats de cette définition peu précise pour souligner exemplairement la prétention de supériorité du monde occidental par rapport au monde oriental en politique, littérature et les Beaux-Arts. Cette assimilation du colonialisme d’autrefois a laissé des traces dans la peinture orientaliste du 19ème Siècle, car certains tableaux de l’époque montrent des campagnes militaires, des marchés aux esclaves, des scènes de hamam et de harem, des palais de sultans et de nombreuses présentations loin de toute réalité sur un Orient imaginaire. Certains critiques d’art en ont profité pour y accrocher un arrière-goût amer et dénigrer tout un genre de la peinture, qui possédait déjà sa place dans l’histoire pré-coloniale des Beaux-Arts, qui a atteint son comble au 19ème et qui a poursuivi son chemin jusqu’à nos jours dans la peinture contemporaine. On parle de kitsch et d’un Orient qui n’a jamais existé.

Mais le caractère sérieux de telles évaluations post-coloniales est rapidement mise en question au moment où l’on abandonne la façon superficielle de voir les choses à partir du goût contemporain sur l’art, et en tenant compte de l´époque à laquelle ces œuvres ont été crées. La plupart des tableaux orientalistes, concernés par les critiques, datent du temps autour de l’exposition mondiale à Paris en 1889. C’était l’épisode colonial dans le monde entier. Les tableaux nous montrent la vie contemporaine d’autrefois. Les artistes peintres ont interprété et composé les sujets selon leur propre façon de les voir, comme cela se fait aussi de nos jours dans l’art contemporain.
Certains ont exprimé des scènes réalistes sur l’Orient, pendant que d’autres se sont servis de la liberté d’artiste en nous montrant un Orient mystique et surréel. Etaient-ce peut être déjà les débuts de la peinture surréaliste de nos jours? Beaucoup d’artistes ont fait des voyages dans le monde arabe et, fascinés par la lumière de l’Afrique, nous ont laissé de magnifiques toiles de leurs souvenirs. Certes, il y en avait aussi qui ont produit des peintures orientalistes sans ne jamais avoir été sur place, ce qui se manifeste par certains détails négligeables dans leur travaux. Si l‘on se replace à l’époque, il semble tout à fait normal de retrouver dans certains tableaux des relents du colonialisme. De nombreux travaux faits à la commande correspondaient au goût de la clientèle de l’artiste. Les critiques d’art de la peinture orientaliste se réfèrent souvent à de telles œuvres pour justifier les thèses de Said, en tirant des conclusions plutôt polémiques comme celle de la position de supériorité de l’Occident par rapport à l’Orient. Ce faisant, ils ignorent le fait que ces tableaux ne représentent qu’une partie minime des peintures orientalistes, ce qui nous permet de mettre en question, si cette critique à tout un genre en peinture soit justifiée.

Au cours des dernières décennies, le web a rendu accessible au grand public un nombre considérable de tableaux au sujet de la peinture orientaliste, que l’on trouve dans des galeries d’art, des musées, des maisons de ventes aux enchères, des collections particulières et de la littérature, sans montrer de scènes à caractère coloniale. On n’y retrouve aucune supériorité de l’Occident par rapport à l’Orient. La plupart des artistes de ces œuvres ont vécu au 19ème et 20ème siècle. Le public les connaît peut être moins, mais d’autant plus les experts d’art de la peinture orientaliste. Certains de ces peintres ont passé des années en Afrique, comme Eugène Girardet au Maroc et en Tunisie. D’autres ont préféré de s’y établir définitivement, comme Etienne Dinet en Algérie ou Gustav Bauernfeind en Palestine. Ils ont quitté l’Europe, parce qu’ils se sentaient attirés par la culture et la civilisation de l’Orient. Ils ont fixé cet autre monde dans des tableaux impressionnants, au style réaliste et plein de vie, sans aucune allusion à leur épisode coloniale. C’est cet autre monde, qui se fait prendre dans le tourbillon des critiques d’art, ne valables que pour un nombre minime de tableaux. Ils ignorent la plupart des œuvres de la peinture orientaliste qui nous montrent une réalité de la culture orientale, ses valeurs et caractéristiques. Lorsque Said a publié ses thèses de la critique sur l’orientalisme, la plupart des pays du Maghreb et du Moyen-Orient avaient derrière eux une vingtaine d’années d’expérience avec l’indépendance politique des anciennes puissances coloniales.
On voyait déjà à l’époque que ces pays avaient choisi leur propre chemin de développement et qu’ils s’éloignaient de plus en plus du monde occidental, due à la progression de l’islamisation.
Gouvernés par des despotes dans un environnement de réseaux de relations et de corruption pendant des décennies après leur indépendance politique, les pays de l’Afrique du Nord et du Moyen- Orient n’avaient aucune chance pour laisser libre cours au développement de leur propre culture et vie sociale. Pour beaucoup de pays il est même encore de nos jours un problème de surmonter le passé colonial, ce qui se manifeste par l’élimination systématique des biens culturels et historiques de l’époque. Jusqu’à présent aucun des pays du Maghreb ou du Moyen-Orient n’a vraiment réussi de surmonter le passé colonial avec une intégration dans leur propre Histoire Nationale. Le printemps arabe et le règlement de compte avec les anciens régimes est un nouvel effort de libération culturelle et sociale, accompagné de perturbations par des mouvements sous influence islamiste. Cette évolution politique est cependant « faite maison » et n’a rien à voir avec une prétention à la domination européenne postulée par Said. Tous ces événements font partie des étapes d’un chemin, que l’évolution historique de ces pays parcourt en ce moment, et duquel la direction est choisie sous leur propre responsabilité.

Même si le monde arabe ne connaissait pas tout ces problèmes, il resterait toujours la question de la possibilité d’un rapprochement du monde occidental et oriental. Les thèses de Said, qui font appel aux différences entre les deux cultures et qu’il s’agit d’équilibrer selon lui, restent une utopie. Une comparaison des valeurs de deux cultures avec des civilisations différentes serait loin d’être objective, non seulement aussi à cause des différentes religions. C’est pourquoi les thèses de Said sur l’orientalisme ne représentent qu’un point de vue subjectif et se révèlent inaptes à la critique de la peinture orientaliste, même s’il y a des moments où le reportage politique, littéraire ou artistique s’en sert. Une application de ces thèses falsifie et polémique les critiques sur les peintures. Les critiques d’art doivent être libres de toute influence politique ou toute tendance à la mode; elles doivent s’orienter selon des normes artistiques et tenir compte de la liberté de l’artiste peintre. L’implication de la peinture orientaliste dans la critique générale sur l’orientalisme dégrade tout un genre pictural des Beaux-Arts, qui, au contraire, devrait nous rapprocher des valeurs du monde oriental, de sa culture, sa religion, du charme étranger et fascinant de ces civilisations. La confusion des thèses de Said avec les critiques sur la peinture orientaliste renforce finalement ce qu’il a voulu réduire.

La peinture orientaliste a continué son chemin d’évolution depuis le 19ème siècle. Dans la scène artistique de nos jours elle joue un rôle moins important, mais elle est toujours présente. Pour beaucoup de peintres artistes contemporains les sujets de l’Orient avec sa lumière, ses paysages, son architecture, sa population, ses traditions et particularités culturelles, représentent une source inépuisable d’inspiration et de créativité pour leurs activités artistiques. Leurs œuvres et compositions sur le monde oriental contemporain sont une contribution au rapprochement des peuples, en nous montrant la réalité d’une culture étrangère, qui est encore trop souvent malentendu dans la notre.